Il arrive un moment dans sa carrière où le travail devient une routine. Le savoir est installé et c’est un peu comme si l’on n’avançait plus. Vient alors un désir, une envie de cultiver un nouveau jardin, ensemencer de nouvelles graines, pour les faire naître et redonner du sens à une vie professionnelle. J’ai donc cherché un endroit où c’était possible. Je suis allée voir un CHTIP bien pour partager une nouvelle pratique.
Le patient devient son savoir, celui qui sait pour lui, il est simplement perdu. Je suis là pour lui faire redécouvrir son propre savoir. Après avoir déjà vécu tant de choses tantôt belles, tantôt terribles. Ils sont perdus. Quand on leur tient ce discours : « vous savez pour vous », ils sont étonnés, surpris.
Un soulagement dans ma pratique. Le patient se trouve sur une route, à un rond-point et cherche des solutions. Il a sa valise avec lui, pleine de linge. Lors de l’accueil, la première phrase a changé : « Bonjour, que puis-je faire pour vous ? » La relation débutante prend déjà un tout autre sens. Ce sont eux les acteurs. L’entretien commence par une recherche : ont-ils déjà vécu cette souffrance ? Qu’est-ce qui les a aidés à ce moment-là ? Et surtout, comment ont-ils fait pour aller mieux ?
Un jour une dame se présente aux urgences, elle souffre de dépression. Elle a déjà été hospitalisée. Elle est surprise par mes questions, les trouve atypiques, orientées vers la solution : « Qu’est-ce qui vous a aidée lors des précédentes hospitalisations ? » La réponse se trouve être le repos, pouvoir se poser un peu, ne plus avoir à gérer son quotidien devenu trop lourd et participer aux groupes. « Qui a vu que vous alliez mieux ? » ; « ma fille car j’ai recommencé à m’occuper de moi », me dit-elle.
La magie du conte va travailler en eux. J’anime un groupe conte qui permet de parler à son enfant intérieur. La surprise auprès des patients est totale et la magie du conte opère à chaque fois. Le « conte tenu » tient toutes ses promesses et permet aux patients de rendre des comptes, de s’identifier.
Le groupe se déroule en deux temps. Une première partie où je leur raconte une histoire. Une explication rapide sur le déroulement de la séance et un tour de table pour connaître leur humeur du jour. La lecture peut alors commencer, lentement les métaphores se déroulent et travaillent insidieusement. On partage ses émotions en quelques mots à la fin. « Le conte va travailler en vous. »
A la deuxième séance les patients parlent de leur vie avec un filtre, une autre réalité imaginaire, transposée par le conte. Leur histoire préférée parle de l’estime de soi et se nomme « la jarre percée qui grâce à l’eau qu’elle perdait malgré elle, arrosait les graines plantées et apportait de la gaieté, des fleurs magnifiques ». Une patiente raconte combien l’histoire l’avait touchée car elle l’avait transposée à sa propre histoire en repensant au jardin qu’elle cultivait avec ses parents. Ainsi les patients se racontent sous couvert du conte et restent toujours stupéfaits : « En plus, ce qui est surprenant est que le conte travaille. C’est qu’en n’importe quelles circonstances, on peut se retrouver face à des détails, des couleurs, des situations, des émotions, des personnages qui vont nous interpeller et nous ramener à tel ou tel conte. » Les patients sont touchés et sortent du groupe avec je ne sais quoi de transformé, de plus léger. Cela donne à ma pratique un vent d’air frais.
Parfois il arrive, au détour d’un entretien, de trouver qu’un conte semble adapté. C’est notamment ce qui s’est passé avec une patiente qui avait le sentiment de ne pas être à sa place dans sa famille. Je lui ai proposé de lui lire Le vilain petit canard. L’identification se trouvait telle, qu’elle était chargée d’émotions, tant de colère que de tristesse. Elle s’est souvenue d’un moment d’exception avec une dame âgée qui l’avait aidée pendant son enfance. Les odeurs de chocolat chaud, les sensations de bien-être sont revenues. Le conte continue son travail.
« Je vous trouve courageux » : l’entretien en mode interview. Dans ma pratique des entretiens, j’ai été formée à la reformulation. Pourtant, dans mon quotidien professionnel cela a rarement permis de développer une stratégie thérapeutique efficace. Avec les thérapies brèves, cela me semble plus évident. « Jusqu’à présent, qu’est-ce qui a marché pour vous ? Comment avez-vous fait pour arriver jusqu’ici ? Comment avez-vous fait pour résister à tout cela ? »
Je me souviens d’un jeune homme mutique. Je lui ai dit chaque jour : « Comment faites-vous pour tenir toute la journée, sans parler, avec une telle souffrance ? Je vous trouve courageux de réussir à gérer seul votre mal-être. Quand vous le désirerez, je me tiendrai à votre disposition pour vous écouter. » Un jour, il a commencé à se raconter à la simple question : « Qu’est-ce qui va mieux aujourd’hui ? »
Rencontre avec ces Niortais qui pratiquent l’hypnose au quotidien et pour la bonne cause.
Le Grand-Feu. Une chambre à la décoration sommaire. La jeune patiente est allongée sur son lit, yeux fermés. Aline souffre d'une épaule, et elle est prête pour sa séance de kiné. Assise près d'elle, Anne Barradeau, infirmière. Toutes deux échangent quelques mots tranquilles, elles esquissent les grandes lignes d'un scénario que, visiblement, elles connaissent déjà : une plage, un matin, la fin de l'été… « Et il fait bon ? », demande encore Anne, Aline acquiesce, ajoute qu'«il y a du vent ». Puis, doucement, Anne entame son travail : « Respire tranquillement, dit-elle à la jeune femme… de l'air frais et sec entre par le nez… de l'air chaud et humide en ressort… ». Le rythme est lent, mesuré. « Le corps se détend… l'esprit peut partir… » La suggestion est chuchotée. « Un matin… sur la plage… tu es à cheval… c'est très agréable… » Encore quelques minutes. « Tandis que ton corps se détend, l'épaule est avec nous… et on va pouvoir la mobiliser… »
" On réduit la douleur de 50 % "
Les patients peuvent résister à la douleur grâce aux médicaments. Mais il est des moments où les analgésiques deviennent inutiles : c'est le cas de la toilette, du changement des pansements ou des séances de rééducation. C'est là que l'hypnose trouve tout son sens, c'est l'hypno-analgésie qui, en cet instant, profite à Aline, emportée par la seule voix d'Anne. La jeune femme ne supportait pas les séances de kiné : trop douloureuses. Pourtant, elle ne réagit pas quand le kiné s'empare de son bras, le lève, l'étire. Haut. La jeune femme reste détendue, détachée. En temps normal, elle aurait hurlé.
Anne continue de lui parler, elle a accompagné Aline jusqu'à « une bulle » dans laquelle la douleur n'a pas place, elle fait maintenant en sorte qu'elle reste dans cette sphère protectrice. L'hypnose réduit de moitié l'intensité de la douleur : « On peut donc aller beaucoup plus loin dans le travail du mouvement », témoigne Valérie, kiné au Grand-Feu. « C'est beaucoup plus confortable pour le patient, ça facilite le travail du soignant, ça apaise le personnel », résume le docteur Danielle Gueudet, du service Soins et rééducation des brûlés.
Dissociation
« En fait, c'est de la dissociation », explique Anne qui, au fond, ne trouve rien d'exceptionnel à recourir à « une capacité innée que nous avons tous » : « Quand vous êtes absorbé par la lecture d'un livre, vous faites abstraction de tout ce qui vous entoure. Comme quand vous roulez sur une autoroute et que vous réalisez soudain que vous êtes bientôt arrivé, vous vous dites que vous n'avez rien vu du trajet. L'hypnose, c'est la même mécanique… mais plus profonde. Pour nous, hypnotiser quelqu'un, c'est l'aider à se concentrer sur un ailleurs confortable… ».
Détourner l'attention du patient pour lui faire oublier la douleur, voilà la technique (« Non, pas une technique !, corrige Anne, un état d'esprit »). Pendant la séance, l'infirmière explore un champ lexical fait de couleurs, de sons, d'odeurs… qui parlent au patient préalablement consulté sur ses préférences. « Mais c'est lui qui choisit où il va. On ne peut rien lui imposer, on ne peut rien faire sans son consentement… »
Emmanuel Touron
Face à cette maladie douloureuse qu’est la dépression, les solutions ne sont pas si nombreuses. Pour Elodie, 43 ans, c’est l’hypnose qui lui a permis de remonter la pente.
Désireux d'innover et d'offrir en accompagnement global du patient, le Centre Hospitalier Saint Joseph Saint Luc a mis en place, à compter du second trimestre 2014, une formation à l'hypnose pour son personnel.
Ce projet - pour partie financé avec le concours de la Fondation APICIL - est destiné à simplifier la prise en charge de la douleur et de l'anxiété.
Dans un premier temps, seule une partie du personnel du service des Urgences avait été formée à ces techniques hypnose. La formation a ensuite été ouverte aux professionnels d'autres services de l'établissement : cardiologie interventionnelle, imagerie et réanimation.
Fin 2014, 2 groupes d'environ 20 personnes (médecins, infirmiers, aides-soignants, brancardiers) ont déjà pu suivre ces formations. L'objectif poursuivi consiste à former 4 à 6 groupes d'ici 2 à 3 ans afin que le CH soit en mesure de pérenniser ces pratiques et de proposer au patient - 24h/24h et à différents moments de son parcours de soin - des séances d'hypnose à visée antalgique et anxiolytique.
Cette démarche représente un réel engagement de la part du CH. En effet, au-delà du coût, ces formations d'une durée de 10 jours impliquent un remplacement important de personnel, afin de ne pas entraver le bon fonctionnement des différents services, mais aussi de conserver la qualité de prise en charge des patients.
Quels patients peuvent être concernés ?
- les adultes et les enfants de plus de 4 ans
- les patients admis aux urgences -les patients sujets aux angoisses sévères
- les patients présentant des douleurs difficiles à calmer ou amenés à subir des soins douloureux
(ex : ponction lombaire ou suture pour les enfants)
- les patients dont l'état de santé ne permet pas la prise de médicaments morphiniques ou ceux dont on souhaite en réduire les doses prescrites
- les patients susceptibles d'être traités en cardiologie interventionnelle (cf. anomalie du rythme
cardiaque)
- les patients appelés à subir des examens parfois longs et/ou angoissants (ex IRM)
Ainsi, depuis juin 2014, ce sont plusieurs centaines de patients qui ont déjà pu bénéficier de séances d'hypnose.
Cette initiative - en accompagnement des traitements plus conventionnels - offre une complémentarité dans la prise en charge proposée par l'équipe médico-soignante, en permettant notamment d'apaiser le patient et de contribuer à son mieux-être.
Le CH Saint Joseph Saint Luc est un Etablissement de Santé Privé d'intérêt Collectif (ESPIC) de centre-ville. Il compte près de 350 lits, emploie 1 000 salariés et réalise un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros.
Il exerce une mission de service public sur l'ensemble de ses activités et est à but non lucratif : ses patients bénéficient d'une tarification publique, sans "reste à charge » et sans dépassement d'honoraires.